Fiche Médicale N°07. Faut'il soigner un animal pour un cancer

Depuis 2010, le cancer est officiellement devenu la première cause de mortalité dans le monde chez l’homme (selon l’OMS), supplantant les maladies cardiovasculaires. Une évolution similaire est observée chez le chien. Une étude publiée récemment a montré que le cancer était la première cause de mortalité chez le chien aux États-unies (Fleming et al. J Vet Intern Med 2011). Dans certaines races (bouviers bernois, golden retrievers, boxers), un chien sur deux décédera des suites d’un cancer. Cette augmentation des maladies cancéreuses est liée à plusieurs paramètres :

 

–          La forte consanguinité associée au développement des races canines et félines a favorisé l’émergence de certaines maladies cancéreuses spécifique de race. L’exemple le plus frappant est le bouvier bernois : plus d’un bouvier bernois sur deux va décéder des suites d’un cancer, et il s’agira souvent des « mêmes maladies » (sarcome histiocytaire ou lymphome) ;

–          De façon paraoxale, les efforts des vétérinaires et des propriétaires (par l’amélioration de l’alimentation, du suivi et de la vaccination) ont favoriser la multiplications des cas de cancer. En faisant reculer la mortalité liée aux maladies infectieuses, aux accidents de la voie publiques, la fréquence des maladies cancéreuses a augmenté avec l’espérance de vie des animaux ;

–          Enfin, les chiens et les chats partagent notre environnement et notre mode de vie. Ils subissent l’impact de facteurs environnementaux favorisant l’apparition et l’évolution de certains cancers.

 

Cette évolution des affections dont souffrent les animaux de compagnie s’accompagne d’un changement de la perception des propriétaires et des vétérinaires par rapport au cancer. Selon l’expérience personnelle, certains considéreront le cancer comme une maladie forcément mortelle, pour laquelle toute tentative de traitement constitue un acharnement thérapeutique. À l’inverse, un propriétaire ou un vétérinaire ayant été confronté à une maladie cancéreuse « guérie » sera plus enclin à accepter une démarche diagnostique et thérapeutique pour leur animal. Mais ces propriétaires vont souvent demander une qualité de soins la plus proche possible de celle proposée chez l’homme. Avec les progrès réalisés chez l’homme dans le traitement de nombreux cancers, cette demande va probablement augmenter dans les années à venir.

 

Une évolution de la mentalité des vétérinaires doit accompagner cette évolution de la population canine. Soigner un animal pour une maladie cancéreuse implique de passer beaucoup de temps avec le propriétaire, pour expliquer :

1 – la nature de la maladie, sa progression possible au cours du temps ;

2 – la nature des soins proposés, et leurs possibles effets secondaires ;

3 – la notion d’espérance de vie et de médianes de survie associées aux traitements. Il est toujours difficile de prédire l’évolution d’un cancer, et il faut faire comprendre, si nécessaire en s’aidant de dessins, que si la moitié des animaux vivra « plus longtemps » que la médiane, la moitié vivra malheureusement « moins » que cette médiane. Il est essentiel d’expliquer que malgré les meilleurs traitements et un bilan d’extension « favorable », certains patients peuvent ne pas répondre au traitement, présenter des effets secondaires (du traitement ou de la maladie) importants ou parfois présenter une deuxième maladie (tumorale ou non) qui vont aggraver un pronostic considéré initialement comme favorable.

 

 

4 – le type de traitement qui peut être proposé. On oppose typiquement les traitements « curatifs » et « palliatifs ». Cette distinction ne se fonde pas sur l’espérance de vie (un patient peut vivre plusieurs années dans de très bonnes conditions « malgré » un traitement palliatif), ou sur le coût, mais plus sur la lourdeur des soins proposés pour atteindre un objectif fixé à l’avance. Un traitement « curatif » est proposé face à une lésion isolée, présentant un risque de métastase faible ou contrôlable sur un animal présentant une espérance de vie satisfaisante (absence de maladie intercurrente importante). Un traitement lourd (chirurgie importante, associée ou non à un traitement de radiothérapie et/ou de chimiothérapie) est alors proposé, car les éventuels désagréments liés à cetraitement (hospitalisation prolongée, aller-retour fréquent à la clinique…) sont « contrebalancés » par l’espérance de vie élevée. Il est acceptable de garder hospitalisé deux semaines voire un mois un animal pour réaliser un traitement si son espérance de vie est supposée longue (de plusieurs années). On proposera un traitement « palliatif », face à une lésion incurable (parce que trop étendue, métastasée ou touchant un animal ne pouvant pas supporter un traitement curatif). Dans ce cas, on cherche avant tout à améliorer ou à maintenir au maximum la qualité de vie de l’animal. Les traitements « lourds » sont évités, et on recherchera alors à  avoir un traitement fonctionnant rapidement et sans effets secondaires. Dans ce cas de figure, la durée de vie est inconnue, mais celle-ci pouvant être brève, on cherchera avant tout à ne pas infliger de traitement pouvant diminuer la qualité de vie.

 

La décision de traiter un animal pour une maladie cancéreuse dépend de plusieurs éléments, qui doivent être pris en compte :

1- quel est la nature de la tumeur et quelle est son extension. Le pronostic ne dépend pas seulement du nom de la tumeur, mais également de son extension locale, et de la présence d’éventuelle lésion à distance. Par exemple, le pronostic lors d’ostéosarcome est des plus variables, et va dépendre de l’espèce (les ostéosarcome sont moins agressifs chez les chats que chez les chiens), de la localisation (les lésions du crânes métastasent moins souvent mais sont le plus souvent inopérables) et de la présence de métastases associées. Le pronostic sera ainsi très variable et le traitement devra être adaptée en fonction de ces résultats. Ainsi, chez un chien présentant un ostéosarcome du membre, associé à la présence de métastases pulmonaires, on proposera un traitement « palliatif » afin de permettre de maintenir une qualité de vie satisfaisant : ce traitement comprend la réalisation d’une irradiation de la lésion tumorale, afin de diminuer la douleur et la boiterie associée, et d’un traitement de chimiothérapie afin de ralentir la croissance des lésions tumorales. Ce traitement réduira efficacement la douleur dans près de 80% des cas, et sera associée à des médianes de survie de 6 mois à près d’un an. Mais aucun animal ne sera définitivement guérie par un tel traitement. À l’inverse, chez un chien présentant un ostéosarcome du membre sans métastases pulmonaires, on peut proposer des traitements « curatifs », avec une amputation ou la réalisation d’une chirurgie avec conservation de membre, toujours associé à un traitement de chimiothérapie.  Avec ce type de traitement, les médianes de survie observées vont de 8 mois à plus d’un an, avec près de 20% des animaux qui ne présenteront pas de métastases dans les deux ans suivant le diagnostic. De la même façon, un chien présentant un mélanome de la mâchoire n’aura pas le même pronostic selon qu’il présente ou non des métastases pulmonaires. Un chien présentant une lésion rostrale non métastasée sans métastases ganglionnaires ou pulmonaires a plus de 50% de chance d’être vivant à un an si une chirurgie couplée à une radiothérapie est réalisée. Cette probabilité tombe à moins de 10% si des métastases sont observées.

 

2- L’animal présente t’il des maladies intercurrentes pouvant influer sur son espérance de vie ou sur les traitements envisagés. Un animal atteint d’une maladie cardiaque ne supportera pas certains traitements, notamment de chimiothérapie (particulièrement l’adriamycine chez un animal présentant une cardiopathie dilatée), ou des anesthésies lourdes associées à une chirurgie. Des anesthésies brèves, superficielles et étalées dans le temps associées à un protocole de radiothérapie palliative seront en revanche le plus souvent bien tolérée.

 

3- Le propriétaire est il d’accord pour assumer les contraintes liés au traitement ? Traiter un animal pour un cancer représente une épreuve pour le propriétaire qui comprend :

–       des déplacements plus ou moins fréquents chez le vétérinaire, le traitement devant être réalisé selon un calendrier établi à l’avance. Certains soins (radiothérapie notamment) ne pouvant être réalisés à proximité, ces déplacements seront parfois très importants ;

–       des hospitalisations plus ou moins fréquentes et/ou une surveillance des déjections afin d’éviter de contaminer l’environnement par des résidus liés au traitements de chimiothérapie ;

–       un investissement émotionnel évident : le propriétaire va fonder beaucoup d’espoirs sur la réussite du traitement, va présenter des moments de doute face aux effets secondaires du traitement ou à la progression de la maladie (perte de poils, baisse d’appétit, vomissements) ;

–       un investissement financier, qu’il faut savoir planifier à l’avance : il est inutile  de réaliser un bilan d’extension très précis et informatif mais couteux si les propriétaire ne peuvent par la suite assumer le coût des traitements ;

 

4- Le vétérinaire peut-il et veut-il assurer tout ou partie du traitement ? Une équipe multi-disciplinaire (regroupant un vétérinaire cancérologue, interniste, chirurgien spécialiste en imagerie etc…) est idéale pour proposer un plan de traitement approprié, mais l’implication du vétérinaire traitant est essentielle. Si il ne souhaite pas réaliser lui même le traitement, il va orienter la décision du propriétaire pour initier ou interrompre le traitement, car il connaît souvent mieux l’animal et son propriétaire que les spécialistes.

 

Si toutes les conditions sont réunies, la prise en charge d’une affection cancéreuse peut être source de satisfaction pour tout les intervenants. Le meilleur exemple est le traitement du lymphome multicentrique. Il s’agit d’une maladie très grave, touchant souvent des animaux souvent jeunes et en pleine forme. Il est facile de se « décourager » face à une maladie généralisée, qui progresse rapidement, ne répond pas à la cortisone et se renforce rapidement et aboutit systématiquement à la mort de l’animal en quelques semaines sans traitement. De nombreux vétérinaires pourrait alors être tenté de ne pas traiter ces lymphomes, parce que le pronostic n’est pas bon. Dans le même temps, très rares sont les vétérinaires ou les propriétaires qui refusent de traiter un chien insuffisant cardiaque parce que le pronostic n’est pas bon. Or un chien atteint de lymphome malin de haut grade ne présentant pas d’autre critère pronostique péjoratif a plus de 80% de chance de voir cette maladie « disparaître » si un traitement de chimiothérapie est instauré. Même si cette rémission n’est le plus souvent que transitoire (seule 10 à 20% des chiens seront « guéris » par la chimiothérapie), les médianes de survie associées vont de 10 à 24 mois, et la maladie reste invisible durant la quasi-totalité de cette période. Selon l’étude la plus récente consacrée au traitement de la maladie valvulaire mitrale (étude QUEST, J Vet Intern Med 2008), affection cardiaque la plus fréquente chez le chien, la médiane de survie du groupe recevant le meilleur traitement n’atteint pas neuf mois, avec une qualité de vie restant le plus souvent diminuée malgré le traitement.

 

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